Les 5 défauts majeurs de la photographie numérique

Bon, à l’annonce de ce titre ronflant, réaction instantanée de la foule, de l’industrie photographique et de 99,9% du milieu et du pseudo-milieu de la photo :

« Quoi ? Mais comment oses-tu t’en prendre à la photo numérique, toi qui n’as plus que ca comme matos de plus de 15 ans ? »

Ok, ok, on pose les flingues et on discute…

 

Oh oui, papy, raconte-nous encore la fin des dinosaures et l’avènement du numérique !

La photo numérique a débarqué dans le grand public sur la pointe des pieds dans le milieu des années 90, pour finir par supplanter quasi-totalement la photo argentique.

Apple Quick Take de 1994, 0,3 mégapixels

Apple Quick Take de 1994, 0,3 mégapixels

1994, le QuickTake 100 d’Apple est le premier appareil photo numérique couleur grand public. Bon, prouesse technologique de l’époque, le coucou nous sort des photos de 640 x 480 pixels, soit 0,3 mégapixels, le must…

Bardée d’immenses défauts à ses débuts (gros pixels pas beaux et capteurs presque insensibles à la lumières, redécouverte des yeux rouges et qualité globale équivalente à un jetable pour le prix d’une petite bagnole), la photo numérique dépasse actuellement l’argentique sur beaucoup de points et propose une chaîne de traitement complète à un coût apparemment abordable.

 

Comment ça, des défauts ?

Oui-Oui et son club photo

Oui-Oui et son club photo

Eh oui, le monde de la photographie numérique est un monde merveilleux, où tout le monde devient un grand photographe juste en appuyant sur le déclencheur, ou un grand artiste juste en choisissant un traitement sur Instagram.

D’ailleurs, 300 000 J’aime sur votre dernière photo postée (dont au moins 7 non Pakistanais ne travaillant pas pour Facebook), c’est bien la preuve que le monde n’attendait que vous pour redéfinir enfin la photo d’art.

Euh, non, sérieusement, vous lisez encore les livres de Oui-Oui à vôtre âge ?

 

1 Le coût apparemment quasiment nul d’un déclenchement

Money, sweet money...

Quand vous appuyez sur le déclencheur, la photo se stocke sur la carte, vous la transférez sur l’ordinateur, vous la publiez sur internet…

Frais de fonctionnement (quand ça marche) pas loin de zéro centime. Vraiment cool. En plus, ça marche presque tout le temps, alors…

Là où ça merde

Avant, en argentique, prendre une photo ca coutait de l’argent. Acheter une pellicule, développer et faire tirer les photos, tout ça pour avoir la surprise au tirage d’avoir totalement merdé la prise de vue… moralité, avant de shooter, le photographe réfléchissait, mesurait la lumière, soignait son cadrage et ses réglages, faisait en sorte que la modèle soit bien maquillée et bien coiffée.

En numérique ? Je shoote, je shoote, et je réfléchis après. Pas de soucis : je peux vérifier sur mon écran que la photo n’est pas (trop) merdée, et puis avec la retouche numérique, je pourrai toujours rattraper le reste (voir le paragraphe suivant).

Moralité

On oublie de gérer la lumière, on ne sait pas trouver les réglages adaptés à ce que l’on veut faire, on cadre trop large ou juste mal, et on se dépêche d’essayer de rattraper tout ça grâce à un bon logiciel de retouches.

Et comme on n’apprend pas de ses erreurs, on reste médiocre toute sa vie…

 

2 Le post-traitement

RetouchePhotoLe post-traitement (ou retouche photo) est un des putains de point fort de la retouche numérique.

On peut corriger les défauts, la lumière, la colorimétrie, changer la morphologie de quelqu’un, virer des objets.

On peut aussi choisir des traitements hyper branchés gratos, hyper vintage, hyper hipster/boho/mes couilles (rayer la mention inutile)…

 

Là où ça merde

Pourquoi préparer une séance ? Pourquoi enlever le truc moche à droite ? Pourquoi repasser la tenture qui servira de fond ?Pourquoi s’emmerder avec des éclairages photo ?

Pourquoi travailler sur des traitements originaux alors que tous les traitements à la gomme mode s’appliquent et rendent hyper cool votre photo en un clic ?

On se demande…

Moralité

Vous êtes quoi, vous, dans tout ça ? Un retoucheur ? Un graphiste ? Un photo-graphiste ? Non, vous êtes juste quelqu’un qui suit aveuglément la mode : quand vos traitement hyper originaux téléchargés sur internet seront passés de mode, vous ferez quoi ? Vous vous remettrez en question ou vous en téléchargerez d’autres ?

En somme, comme pour le chapitre précédent, en se reposant sur le post traitement, on oublie simplement de progresser sur la prise de vue. Et d’acquérir une personnalité photographique au passage…

 

3 L’excellente qualité des modes assistés

Différents modes des appareils numériques

Différents modes des appareils numériques

Wé, il faut l’admettre, l’industrie de la photo numérique a fait un énorme travail sur les modes assistés, capables de décider tous seuls des réglages et de qui est le sujet central sur la photo. Du coup, ca devient difficile, voire impossible de rater une photo…

 

Là où ça merde

Malheureusement pour l’industrie photographique et celle du téléphone portable, il existera toujours des situations où les modes assistés merderont ou ne donneront pas du tout le résultat que vous souhaitez obtenir. La faute au contexte (trop ou pas assez de lumière, environnement complexe… ) ou la faute à vous (composition atypique, effets à la con non prévus dans le manuel…).

Moralité

Chaque que les modes assistés devront être débrayés, par nécessité ou parce que vous voudrez obtenir un résultat bien précis, ca sera la panique à bord : vous êtes simplement incapable de prendre une photo en mode manuel… Pas grave après tout, c’est juste que les photos prises le seront par votre appareil, pas par vous.

 

4 L’apparition de l’obsolescence programmée

ObsolescenceProgrammeeQuand les dinosaures parcouraient la surface de la Terre et que l’humanité balbutiante n’en était encore qu’au stade de la photo argentique, le fabricant assurait la réparation de votre boitier acheté 20 ans plus tôt. Pourquoi vous ne l’aviez pas changé depuis 20 ans ? Parce que ça restait la référence sur le marché, ou plus simplement parce que la qualité des photos vous convenait parfaitement.

 

Là où ça merde

Tous les ans, les boites sortent de nouveaux appareils. Plus puissants, plus automatiques, plus machin, encore plus truc… Du coup, vous comprenez aisément qu’il n’y ait plus de service après-vente sur des modèles achetés il y a 5 / 3 / 2 ans. Ce qui est dommage, parce que curieusement, avec toute cette recherche et les super qualités d’assemblage annoncés dans la pub, la durée de vie de ces merveilles est en chute vertigineuse.

Moralité

Ce que vous considérez comme normal pour votre ordi (matériel constamment dépassé, durée de vie ridiculement courte, logiciels rapidement incompatibles), vous allez devoir l’accepter pour votre matériel photo numérique.

Bienvenue dans la société de consommation…

 

5 La course à l’armement

Ben quoi ? C'est de l'armement, non ?

Ben quoi ? C’est de l’armement, non ?

Toujours plus puissants, toujours plus performants. Il fallait compter 2 mégapixels pour le haut de gamme du numérique à la fin des années 90. Le standard en photo pro (hors dos numériques) est passé en 8 ans de 17 à 22 mégapixels. Le Canon EOS 5D Mark IV tire à 30 mégapixels. Et ne parlons pas des téléphones portables, dont certains tutoient facilement les performances du matériel professionnel…

Côté auto focus et modes rafale, pareil, toujours plus vite, toujours plus haut…

 

Là où ça merde

22 mégapixels, ca donne des fichers RAW d’environ 25Mo. Pour 30 mégapixels, le RAW passe à plus de 50Mo et peut aller jusqu’à 100Mo.

Et, surprise, ce qui passait bien sur votre fidèle ordi de compétition ne passe plus. Pas assez de place, pas assez de mémoire vive, pas assez de puissance. Et si vous n’avez pas assez de budget, il va vous falloir vous armer de patience (c’est gratuit).

Le mode rafale de compétition ? Vraiment très cool, jusqu’à ce que vous découvriez que votre rafale est limitée par la vitesse de transfert de vos cartes mémoire… Bon, au point où vous en êtes, changer quelques cartes ne se remarquera même pas sur votre découvert…

Quant à l’auto focus hyper intelligent à 13852 capteurs sur 12823 zones, ben il donne exactement les mêmes résultats que celui de votre ancien appareil…

Moralité

Euh, les photos, vous en faites quoi au juste ?

Je rappelle humblement que :

  • pour sortir une photo sur internet, 2-3 mégapixels suffisent
  • pour sortir un tirage papier 10×15, 4-5 mégapixels suffisent
  • pour sortir un tirage papier 20×30, 8 à 10 mégapixels suffisent

Et que, si vous ne faites pas de photo sportive où ça bouge vraiment, ou de spectacle de danse ou de reportage de rue agité, un auto focus et un mode rafale « normaux » conviendront tout à fait.

 

La super moralité de la mort qui tue, façon Jean de la Fontaine sous éphédrine.

 

L’industrie photographique numérique s’intègre parfaitement dans la société de consommation moderne :

  • on crée chez le client un besoin permanent (plus de pixels, plus de fonctionnalités, plus de diffusion facile…),
  • on raccourcit la durée de vie des matériels grâce à cette obsolescence fonctionnelle,
  • on masque les coûts de la chaîne numérique en ne focalisant que sur un maillon (l’appareil, l’objectif, les accessoires…) ou que sur les performances (sans parler des évolutions matérielles nécessaires pour les supporter),
  • on ne crée plus les produits pour satisfaire les clients, mais on impose des standards que les gens vont suivre, parce que c’est neuf, parce que c’est mieux, parce que c’est hype…

Cette industrie photographique s’adresse au plus grand nombre, et donc cherche à simplifier au maximum la prise de vue : modes automatiques ultra performants, montées dans les ISO hyper maîtrisées, traitements et retouches « one click », sélection automatique de la profondeur de champ et du type de bokeh…

Après, comme l’expliquent généralement les généraux après une bonne guerre bien sanglante qui les a mis de bonne humeur : « on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ».

 

Money, money

Que ce soit avec un appareil photo ou un téléphone dernière génération, le principal inconvénient de cette frénésie technologique, c’est évidemment le coût.

On rentre facilement dans une spirale de course à la performance/mode/gadget. Dès que vous investirez dans quelque chose de cher ou pas cher, peu importe, vous serez certainement amené à devoir changer ou faire évoluer un ou plusieurs éléments de la chaîne numérique. Une carte SD par ici, un disque dur externe par-là…

 

Technique photographique, de profundis…

Le confort offert par la technologie numérique amène certains à ne plus rentrer suffisamment dans la technique photographie.

Mode automatique, confiance aveugle (et forcée) dans les logiciels de retouche… tout est en place pour vous persuader que le couple Vitesse/Ouverture n’existe simplement plus, la longueur focale et son angle de vue non plus, quant à la profondeur de champ, que c’est juste un réglage à faire sur son ordi après coup…

 

Recherche personnalité artistique désespérément

Dans ce que vous produisez, qu’est-ce qui caractérise votre style ? Le truc qui fait que l’on reconnaît facilement vos travaux au milieu de ceux des autres ?

Votre ambiance générée par le mode automatique de votre appareil ? Votre lumière corrigée ou créée sous Photoshop Elements ? Votre traitement de la couleur trouvé via Instagram ?

 

Euh, et maintenant que tu as tout dézingué, je fais comment, moi ?

Bon, là, c’est vraiment le rayon « conseils à deux balles qui n’intéressent personne ». Mais quand faut y aller, faut y aller…

1.- Je définis ce que je veux faire comme photo, ce que je veux en faire, et j’achète juste le matériel adapté à mes besoins. Quand j’aurai atteint les limites de mon matériel, j’en changerai.

2.- J’évite les modes assistés, et je travaille sur mes réglages ISO/Vitesse/Ouverture, en gérant ou organisant la lumière dont j’ai besoin.

3.- Je travaille mon cadrage, la composition, les détails, en partant du principe que les retouches ne devront pas me prendre plus de 5 minutes par photo.

4.- Je me pose la question magique « Qu’est-ce qui me différencie des autres ? ». Et accessoirement, j’essaie d’y répondre…

 

Pour le dernier point, je vous rassure, c’est l’affaire d’une vie

 

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