Les univers de papier, c’est une petite réflexion sur quelques bouquins que nous avons dans notre bibliothèque, et leur influence possible sur des univers photographiques. Aucune prétention pseudo intellectuelle ou universitaire en la matière, j’explique juste pourquoi je les aime.
Le livre du jour : The birth of Rockin’ Jelly Bean
Euh, c’est qui l’éditeur de ce truc, au fait ?
Wanimagazine CO Ltd, maison d’édition japonaise basée à Tokyo, spécialisée dans le hentai.
Wé, wé, je vous vois venir… c’est quoi le Hentai au fait ?
Pour les japonais, hentai signifie tout ce qui est pervers, anormal, ou en lien avec la métamorphose, sans être forcément à connotation sexuelle… Par extension, on désigne comme hentai les manga et dessins animés à caractère pornographique… Ca va du porno classique, en passant par l’ensemble des perversions possibles et imaginables.
Qu’un illustrateur comme Rockin’ Jelly Bean soit publié par un éditeur de hentai nous donne cependant une indication intéressante sur la société japonaise. Extrêmement conservatrice, bien qu’en même temps extrêmement libérale quant à l’accès aux perversions (inceste, pédophilie, zoophilie, et j’en passe…), elle mène la vie dure aux artistes dont elle juge les oeuvres anormales ou perverses. Un artiste hentai est donc considéré plus comme un créateur/fournisseur d’hentai que comme un artiste à part entière, quand bien même il serait mondialement connu…
Bon, c’est quoi, ce bouquin plein de dessins que tu nous présentes, Général LaGuarda ?
Rockin’ Jelly Bean est un illustrateur japonais mondialement connu depuis le milieu des années 90. Connu pour ses affiches et pochettes de groupes de rock japonais dans un premier temps, puis pour toute sa production de filles hyper-sexys et de monstres évoluant dans des univers issus de l’age d’or de l’underground US, et poussés à leur paroxysme…
Le contexte
Début des années 90, internet n’est encore qu’un fantasme pour le grand public. Le monde se partage entre les photographes – qui règnent sur le côté lumineux de la Force (visibilité, notoriété, pognon), et les illustrateurs – qui pour la plupart, ont opté pour le côté obscur de la Force (rock, sexe et underground).
Au Japon, les groupes de rock pullulent. Rockabilly, punk, trash, glitter… ca pullule et ca se tire la bourre tous azimuts. Pour exister, il leur faut attirer du public. C’est à qui sortira le visuel le plus tape-à-l’oeil, celui qu’on remarquera sur les murs tapissés d’affiches, de flyers et autres prospectus imprimés avec les moyens du bord…
Jackie and the Cedrics
Ca commence là. Jackie and the Cedrics est un groupe de jeunes branchés surf music. Leur bassiste s’appelle Rockin’ Jelly Bean. En plus de bien toucher ses billes à la basse, il pond des flyers et des affiches qui très vite, vont sortir le groupe de l’ombre et assurer à Rockin’ Jelly Bean une réputation grandissante d’illustrateur hype.
Dès lors, la machine est lancée… Rockin’ Jelly Bean deviendra une star mondiale, entre Japon et Etats-Unis… Star masquée, qui plus est, mais bon, je vais pas tout vous raconter non plus…
Le bouquin, à quoi ca ressemble…
The birth of Rockin’ Jelly Bean, est un beau pavé de 240 pages, en 22,5cm x 31,5cm. La couverture est cartonnée et revêtue d’une jaquette avec vernis sélectif. Papier satiné épais, avec plusieurs doubles pages dépliables et deux pages/calques où sont reportées les indications colorimétriques de l’auteur à destination de l’imprimeur.
Beaucoup d’illustrations pleines pages et pour les autres, une grosse densité d’illustrations au cm2…
Bon, pour ceux qui ne connaissent pas, qu’il soit hentai ou non, un art book japonais, c’est toujours de la très haute qualité. Mise en page, rendu des couleurs, tout est impeccable et très agréable au toucher.
Côté texte, bon, il vous faudra lire l’anglais ou le japonais, ou kidnapper un touriste, c’est vous qui voyez…
Le bouquin, c’est quoi qu’il y a dedans……
Beaucoup d’illustrations, mais pas que. Le bouquin est divisé en 6 parties, et on peut suivre ses travaux au travers de ces différentes époques…
Vous pourrez y trouver ses premières illustrations, du temps où il était surtout le bassiste de Jackie and the Cedrics, puis l’évolution de ses illustrations liée à son séjour aux USA, ses expositions, la création de sa marque Erosty Pop et l’ouverture de sa boutique Erostika, ainsi que sa production depuis son retour au Japon.
Indispensable pour apprécier l’artiste, et ne pas rester que sur le côté « filles outrancièrement sexys » dans lequel beaucoup ont tendance à le cantonner. J’allais dire « un peu comme le riz » mais non, c’est un article sérieux, pour une fois 🙂
Et pourquoi il a atterri dans ta bibliothèque, au fait ?
Le style
Vous me connaissez, je déteste coller des étiquettes à la con sur les gens. Donc, pas de néo vintage, ou de hardcore low pop… S’il fallait diagnostiquer le truc, je dirais que l’underground US lui est tombé dessus quand il était petit. Le trait de Robert Crumb, les univers de Robert Williams, la custom culture d’Ed Roth…
Avec un immense talent, il a digéré tout ça et a lâché les chevaux… C’est gore, sexe, visuellement génial, effroyablement californien…
Bref, c’était obligé qu’il atterrisse dans ma bibliothèque…
La mise en scène
Femme géantes, déesses issues de la Marijuana, démones rock’n’roll, monstres psychédéliques… On retrouve son goût pour l’affiche : raconter une histoire et planter l’ambiance en une page. Ses compositions sont un régal, comme le crochet de Mike Tyson au sommet de sa gloire : elles vous mettent à terre à peine vous avez posé les yeux sur elles.
Les couleurs
Excessivement travaillées et excessivement peu naturelles, son utilisation « déviante » des couleurs est essentielle au rendu final de ses oeuvres.
Restons raisonnable
Nan, je déconne. Tout dans l’oeuvre de Rockin’ Jelly Bean est déraisonnable, démesuré, déformé.
Pourquoi des couleurs seraient-elles naturelles ? Pourquoi des filles devraient rester juste sexy ? Pourquoi faudrait-il se contenter des limites des anciens, et ne pas aller plus loin ?